E : écrin => expressivité

écrin


Nous savons tous ce qu’est un écrin.

Alors pourquoi en parler ? Ben oui, on se demande…
Tout simplement pour évoquer cette part importante de la haute-fidélité qui, avec honnêteté, cherche à délivrer une somptuosité permanente, quelles que soient les circonstances, la musique et son environnement.

Louable volonté, mais c’est ce que nous considérons comme privilégier l’écrin au détriment du joyau.

L’écrin est souvent trop beau, trop mis en relief, plus soigné et riche que le contenu, comme d’ailleurs parfois la présentation hâbleuse des appareils voudrait faire oublier leur indigence musicale… 40 mm d’aluminium ne sont pas garants de musicalité !
Oui, c’est agréable un beau tapis de soie dans un coffret de nacre ; mais s’il est vide ou ne contient que de la verroterie, quel est l’intérêt ?

Prendre le pari de la musique, arborer la somptueuse gemme hors de l’écrin, lui offrir la lumière où ses facettes impénétrables explosent en poussière d’étoiles, c’est certes s’exposer à moins de confort parfois, parce qu’en musique et en son tout n’est pas forcément plastiquement parfait, mais c’est en revanche l’assurance de se nourrir de plus de richesses, de plus de diversités, de plus de saisissements, de plus de sensations, de plus d’érudition…

La beauté répétitive, les timbres dégoulinant d’harmoniques, le plus beau que nature, la profondeur permanente, le cinémascope constant, les limbes mensongers : un bel écrin ! Rien de plus…


Ekphrasis ou ecphrasis


Description littéraire d'une œuvre d'art, ou mettant sous les yeux du lecteur un autre art que la littérature.

Au sens large, on entendra par ecphrasis toute description poétique de personnes, d'objets ou de lieux…

C'est un procédé par lequel la déviation lente du vrai sens des mots par des années de prodigalité hifiste nous contraint à passer pour décrire le naturel d'une écoute digne de ce nom…

C’est aussi de ces termes qui donneront à ce site un côté… mmh, disons pédant…
Mais on assume…

 


émotion


Euh… trou de mémoire…

Ah oui : agitation passagère provoquée par la joie, la peur, la surprise, etc… Par des sentiments…

Pas difficile de perdre le sens des mots
quand on voit à quelle sauce ils sont sabotés dans le langage commun de la hifi…
Bon, certes, on pourra toujours dire que l'émotion relève de l'idiosyncrasie… Mouais, peut-être.

 

Mais quand même, l’émotion est une denrée rare en hifi.

Les fondamentaux nécessaires à la naissance d’une larme ne font pas partie des normes… Oui, du beau son, oui, des beaux timbres, mais qu’en est-il de cette sensibilité quasi liminale, ce tremblement ému du doigt sur la corde, les élans fougueux du souffle, les rebonds fulgurants déstructurant la cadence pour la sublimer, les petites accélérations foudroyantes sur le clavier, la prise de possession de mains amoureusement tyranniques qui sculpteront le piano, forgeront la sonate, les effleurements d’élytres sur la soie, les appuis en fond de tempo, au-delà de l’audible, les tremblements essoufflés d’une voix qui, à avoir tenté d’articuler la douleur ou la passion, grelotte légèrement en fin de note, à la lisière de la syncope, tout ce qui confine à l’humain, ces corps qui respirent dans les silences, ces êtres concentrés sur la page de l’autre, souriant à telle idée non répétée mais d’une toquade si intelligente, si maligne, si excitante, ces vibrations fêlées du bois qui accusent l’âge d’un instrument devenu fragile, un peu capricieux, jamais parfaitement accordé mais aux résonances si somptueuses, onctueuses, cet instant exquis, magique, où l’artiste un peu raide, guindé, tendu par le trac se détend soudain, où le souffle de l’inspiration l’inonde, jetant un glacis délicieux dans la colonne vertébrale, cet interstice d’absence où, suspendu au lèvres d’un élan de grâce, l’estomac se creuse, provoquant le vide soudain de l’émoi semblable à une caresse d’amour…

Or, il est très intéressant, expériences à l'appui, de s'apercevoir que beaucoup de nos contemporains font preuve - dans leur rapport à la haute-fidélité - d'une quasi anaphylaxie face au ressenti !

La peur des émotions ou de leur expression est une réaction fréquente qui explique le refuge vers des systèmes ou des marques consensuelles en diable qui ne font courir aucun risque de ce côté-là… La daube audiophile.

Par ailleurs, sur un forum spécialisé, nous avons lu récemment les propos d'un illustre magasin qui rétorquait à un sympathique quidam en recherche d’un système un tant soi peu touchant que, en gros, imaginer que l’être humain est capable d’encaisser des heures d’émotion continue relève du fantasme candide.

Le potentiel client a humblement objecté qu'il se serait contenté de 10 minutes d’émotion. "Chez vous, en dépit de la qualité de votre présentation, je n’en ai ressenti aucune…" a-t-il cru bon de préciser, sans doute un peu blessé par l'objection…


enveloppe


Terme essentiel quoique difficile à expliquer.
L’enveloppe, c’est le respect du développement de l’attaque des notes et son développement.

On entend souvent parler de rapidité sur les attaques lorsque celles-ci présentent systématiquement un front droit, raide, une tension permanente,
à croire qu’un violoniste n’a d’autre ressource que de scier son instrument ou un trompettiste d’éternuer dans le sien.

La vraie rapidité, à ne pas confondre non plus avec une douceur systématique, permet de reproduire la forme exacte de chaque façon de tendre ou enrober, syncoper ou arrondir, assaillir ou lisser l’attaque de note. L’enveloppe est donc le respect du touché ou phrasé de l’artiste.

Ce terme vient d'ailleurs de la terminologie musicale. On parle en effet d'enveloppe sonore, une propriété d'un son instrumental, liée à l'évolution de son amplitude au cours du temps.

On assimilera cette enveloppe à une courbe en cloche développée en trois segments temporels :

- la partie montante de la courbe constitue l'attaque et varie évidemment selon la nature de l'instrument (à cordes, à vents, percussion…)
- la partie supérieure de la courbe est appelé le maintien (sustain), car elle constitue souvent la partie la plus longue de la note (sauf peut-être sur les percussions) et en est le corps, la part fondamentale.
- la descente ou chute (release) est également très variable en forme et durée selon les instruments.

Cette courbe globale est appelée enveloppe puisqu'elle enveloppe le signal…

Les musiciens vont pouvoir jouer de ces trois instants de la note pour exprimer des combinaisons infinies… Sur le piano par exemple, le rôle des pédales est d'agir sur la chute. Les trois segments pouvant intervenir dans des spectres de fréquences différentes, on enrichit la palette sonore de l'instrument par un jeu d'harmoniques croisés…


épaisseur


En théorie, l’épaisseur devrait être une bonne chose, expliquant la qualité d’une restitution pleine d’étoffe, de corps de relief et de matière, racontant une humanité raffinée et gironde…

Bien sûr, on peut en faire l’usage contraire : devient alors épais ce qui est un peu enduit de gras, de couches en trop, d’un enrobage un rien gélatineux. Ou d’indolence, comme un esprit est épais…

Il faudra donc bien s’entendre sur l’idée au moment de l’exprimer.

 


équilibre tonal


cf : neutralité


euphonie, euphonique


L'euphonie, dans le domaine de la musique désigne une agréable et harmonieuse combinaison des sons.


Dans les domaines de la linguistique et de la phonétique, l'euphonie est une qualité des sons agréables à entendre ou aisés à prononcer, parfois invoquée pour expliquer certains changements phonétiques dus à l'influence de phonèmes voisins…


évolution


Petite digression au passage…

Sans vouloir tirer des conclusions, même statistiques, on peut légitimement se demander si les appareils transmetteurs d’émotion, ceux que l’on aime, ceux que l’on défend, ceux que l’on revendique, ne pourraient pas résulter d’une vision jamais contrainte de l’objet, jamais limitée, jamais en posture, mais en perpétuelle évolution, en perpétuelle révolution.

Ne constate-t-on pas, à force de comparaisons, que tous ces produits très figés, très inertes, sur leur quant à soi, souvent magnifiques technologiquement, souvent d’apparence nettement plus sérieuse que la moyenne, très bien réalisés, industriels dans leur apparence, dans leur conception, dans leur sérieux, nés de grandes marques, mais aussi de marques revendiquant une technologie de science-fiction à côté de laquelle un IRM fait figure de pointe en silex, sont aussi les plus platouilles à l’écoute, les plus inodores, les plus insipides, les plus politiquement corrects du marché… Les plus nombreux aussi, certes. Et alors… Le résultat est, indirectement, qu'ils sont constamment et trop fréquemment remplacés par de nouvelles références qui donnent l'impression que la génération précédente, tout bien considéré, n'était pas terrible…

Alors que les objets qui ont quelque chose à dire, qui racontent une histoire, qui dégagent une odeur, revendiquent une saveur, expriment une vision, s’adressent au cœur - précisément en laissant la musique exulter -, ne sont jamais arrêtés, jamais finis, jamais absolus, jamais définitivement sûrs d’eux-mêmes ! Toujours sur le fil du rasoir, fragiles - au sens d’exposés à une incertitude permanente, une remise en question de chaque instant -, toujours évolutifs, toujours en mouvement, mais sans être pour autant destinés au sacrifice de la mode, à l'obligation d'un référencement systématiquement autre… C'est sans doute pourquoi certains constructeurs maintiennent des références chères à leur cœur pendant très longtemps au catalogue : une petite retouche de temps en temps, un léger détail amélioré, mais la base est saine, délivre l'essentiel, offre les fondamentaux, et mérite qu'on s'y attarde, qu'on peaufine, qu’on révise, qu'on doute, comme de nombreuses œuvres musicales ont été révisées sans fin par leur compositeur…

Je ne parle pas de recyclage façon B&W ou autres, mais de peaufinage, lent patient, comme certains musiciens on incessamment revu leurs partitions, certains écrivains aussi.

Un ami, éditeur littéraire, expliquait un jour à l’un d’entre nous, à propos du beau livre d’un écrivain condamné à l’anonymat parce que n’appartenant pas au sérail, un texte très difficile, impubliable, trop abscons, labyrinthique, trop improbable dans la moyenne actuelle : « il y a deux types d’écrivains. Ceux qui savent. Et ceux qui cherchent. Ceux qui savent m’ennuient. Au mieux, ils sont brillants ; or, l’être brillant ramène tout sujet vers le domaine dans lequel il brille, mais toujours à côté de ce qu’il croit savoir ; ceux qui cherchent, ceux qui explorent, ceux qui doutent, ceux-là, oui, peuvent parfois être de grands créateurs, de grands écrivains, de grands hommes… »

Cet homme, éditeur un peu isolé dans sa loyauté, est décédé, il y a peu… C’était un grand homme. Celui d’entre nous à qui il s’adressait n’a jamais eu l’opportunité de lui dire merci. Ou jamais su… Et pourtant, indirectement, rien de nos attentes n’aurait jamais existé sans lui…


expressivité


Le mieux est sans doute d’essayer la métaphore qui m’est venue hier lors d’un dîner où j’ai dégusté un Risotto d’anthologie qui sur la carte est annoncé « Risotto façon Sushi ». Une variante entre tradition et invention donc.

En savourant ce plat, c’est bien simple, j’ai versé une larme d’émotion (des larmes ?), tant c’était exceptionnel ! Bien sûr, un sourire de Carla face à moi aurait suffi à me bouleverser, mais non, c’était un instant de pur saisissement culinaire.

Or, on parle de riz et de poisson cru ! Rien de plus banal en apparence. Des Risottos, nous en avons tous goûtés et ça se ballade entre quelconque et excellent. Ce soir, Al Pont de Ferr (Milan), c’était de l’art.

Soyons plus précis :

L’invention et la recette, c’est l’art supérieur du chef. La qualité de la préparation, c’est l’expression. Ma perception, c’est l’émotion.

Que restera-t-il de la même recette préparée moyennement ? Moins d’expressivité. Et, en ce qui me concerne une émotion moindre. Éventuellement entretenue par un souvenir de l’original. Ou au contraire très décontenancée.

Que restera-t-il si je demande au chef de me préparer le plat, me le congeler et que je le réchauffe aux micro-ondes ?

Je l’aurai grandement banalisé. Pas forcément totalement dénaturé (quoi que) mais j’aurai affadi sa splendeur expressive. La recette est la même, l’expressivité est trahie, l’émotion amoindrie.

Que me reste-t-il à faire ? Trouver le chef ou le temps qui sauront reproduire à l’identique ce grand moment, ou inviter le créateur chez moi en lui fournissant le plus précisément possible les ingrédients ou instruments dont il a besoin.

Pas de subjectivité là-dedans.

Voilà. Ce que nous essayons de transmettre dans cette rubrique « expressivité », c’est ça : veiller que les appareils que nous testons ne soient pas que des fours à micro-ondes de base. Pour éventuellement nous autoriser à retourner au lieu originel de l’émotion.

Et croyez-moi : la recherche de l’expressivité en haute-fidélité, ça limite beaucoup le choix.

Le critère le plus difficile probablement et pourtant essentiel et même indispensable du point de vue de vos serviteurs. Pourtant si chichement représenté par la « Grande-hifi internationale », pour reprendre la dénomination d’un collègue.

Or, c’est bien simple : l’absence d’expressivité, c’est le mysticisme dépourvu de la moindre révélation.

 


Ça ne vous aide pas beaucoup, hein ?

Mouais… Je suis d’accord.

L’expressivité si on devait la définir… Comment dire…

Imaginons un même texte, euh, par exemple « Pierre et le Loup », raconté par deux personnes différentes.

Mettons, un italien et un anglais. Avec tous les clichés subséquents.

Nous français par exemple, c’est la baguette et le béret, voyez le genre…

Un italien, c’est expressif, n’est-ce pas ? Volubile, ça cause vite et fort, souvent avec les mains, et l’éloquence est vertigineuse… Je vous en parle d’autant plus volontiers qu’au moment où j’écris ces mots, je suis à Milan, bien occupé à éviter de me laisser emporter par une autre exubérance : la grâce en mouvement des avenantes milanaises. Heureusement, Carla veille.

Un anglais c’est pince sans-rire, n’est-ce pas. Un anglais, c’est consti… réservé. La diplomatie conduit à parler de distinction. Ça n’empêche pas l’expressivité, simplement elle est plus… gourmée ?

Avouez que : « MAMMA MMiiiia !!!!! », c’est quand même plus gourmand que « GOUdlaurd…. »

Donc le même texte joué par Marcello Mastroianni d’un côté, incarnant les nombreux personnages, exploitant la vaste palette de mimiques dont il est intensément capable, James Mason de l’autre, jouant d'intonations subtiles et guindées, crânes mais pudiques, jetant un regard voilé de romantisme sur le loup attrapé par la queue et emmené au zoo (ce ne serait pas une forme de colonialisme, ça, par hasard ?)…

Sans aucune volonté de caricaturer, vous l’aurez remarqué. Si j’avais choisi David Bowie, la démonstration aurait été moins pertinente.

Mastroianni (Marceeelllo), Mason (James), on imagine quand même que l’histoire n’aura pas le même piquant, le même relief.

Théoriquement elle a le même sens. Mais est-ce si sûr ?

Pas aussi simplement que ça, car elle ne vous parlera pas de la même façon, vous ne la ressentirez pas, ne le vivrez pas de la même manière, avec la même intensité, la même sérénité peut-être, le même plaisir en tout cas et par conséquent, vous en recevrez une leçon, une compréhension différente, non ?

Etes-vous le même homme en slip de bain sur la plage et en costume trois pièces sur mesure Zegna lors d’un conseil d’administration ?

Un autre exemple ?

Ecoutons « Ne me quitte pas…» dans la version un peu surestimée de Nina Simone, toutefois bien émouvante ; artiste incontestablement expressive, Nina Simone est dans la veine « inspirée », concentrée et extériorisant l’intérieur en frissons scénarisés. « Ne me quitte pas… » est une supplique accablée, proche de la désespérance. (Brel revendiquait une différence forte entre désespoir et désespérance)

Maintenant, essayons d’imaginer la même chanson qui serait interprétée par… Rammstein, tiens…

NE ME QUITTE PAS !!!!!!

La supplique devient injonction.

 

Oui, là ce n’est plus de l’expressivité, c’est de l’expressionnisme, d’accord.

Non, je ne vais pas vous faire le coup de prétendre qu’un mauvais appareil va transformer Mastroianni en Mason (James) ou Nina Simone en Rammstein (amusant) ni même le contraire (encore plus amusant).

Bien sûr vous identifierez toujours l’artiste, même sur un poste de radio (une image qui a la vie dure). Mais…

… Mais pourtant… écoutez bien : des appareils qui ramènent l’exubérance de Mastroianni au mieux de sa forme à la patate chaude dans la bouche de James Mason, ça existe ! Et je n’exagère pas du tout !

Sans aller jusqu’à telle parodie de contresens pittoresque ou de totale absence d’icelle, un appareil expressif vous fera ressentir, « voir », les pantomimes du grand Marcello, l’exubérance de ses yeux, la malice des lèvres, le nez animé, la bouche en cœur qui pourraient aussi bien vous escroquer, les prunelles souriant ou pleurnichant qui vous déclarent en permanence « aime-moi, tu n’y échapperas pas… ».

Un appareil expressif figurera le sourire pincé de James Mason, un soupçon d’arrogance parfois, une hauteur d’aristocrate, le digne frémissement dissimulant une douleur intérieure, un doute profond derrière l’affectation.

A contrario, si même Nina Simone déclame sans âme, sans le poids sur les épaules d’une tragique ségrégation toujours active, ou Rammstein hurle dans le vide, sans les crocs, le grasseyement, les contorsions caricaturales, les masques éclatants de la tradition d’un Brecht ou Weil, votre système n’a pas un embryon d’expressivité.

Écoutez bien, ne vous laissez pas emporter par ce que vous croyez connaître de la musique et jugez ensuite.

Votre système swingue peut-être, il est peut-être pétulant (j’en doute fort), mais expressif ? Non !

Enfin si, peut-être, et dans ce cas on vous félicite ! Vous avez évité les nombreux écueils des pièges médiatiques.

Le rôle d’un BON système de reproduction n’est pas de « procurer » de l’émotion, celle-ci vous appartient et une affreuse déformation pourrait vous convenir, mais bel et bien de transmettre l’histoire racontée par le ou les musiciens ; sans simplifier, enjoliver, appauvrir ; sans déguiser comme une reproduction picturale ajouterait une moustache à la Joconde ou donnerait l’impression que Mona Lisa rentre de quinze jours frénétiques au Club Med …

L’expressivité : ne pas trahir l’expression. Couleurs, modulations plus ou moins complexes, combinées, sous-jacentes ou épanouies, rythmiques croisées, grain, matière, respirations, hésitations, mousse de fluctuations…

Présence physique, vitalité, réalité organique, incarnation…

Vive la diversité d’expressions !

La plasticité d’une voix face à  la ductilité d’une autre, ou les deux qualités dans une même voix.

L’humanité ! La chair et le sang, la lymphe et l’aura…

Tout ce qui distingue une approche artistique d’une autre, qui donne « un » sens au texte, qui traverse l’artifice pour toucher au cœur, qui frissonne sous la peau, circule dans les veines, coule en perles d’intensité sur le front concentré, inquiet, joyeux, exultant… La vie, la différence, l’intensité ou parfois son contraire sans filtre, livrés tels quels, à cru !

On a évoqué dans les rubriques précédentes ce qui est essentiel à la perception de vie, le swing, la présence, le grain la matière.

Formidable.

 

Mais ce n’est pas encore l’expressivité. L’expressivité c’est un cran au-dessus.

On peut en effet réunir ces différentes vertus sans vraiment obtenir l’expressivité. Notez que dans ce cas-là on a quand même déjà un bien beau système avec lequel on pourra vivre longtemps, sens majeur de la « haute-fidélité », n’est-ce pas ? La fidélité, c’est quand même un engagement sur la durée !

Et par ailleurs on pourra parfois rencontrer une fulgurante expressivité, réellement saisissante, sur des systèmes par ailleurs totalement à côté de la justesse, de l’équilibre ou de la palette harmonique.

Je pense notamment à des combinaisons autour de bons amplificateurs de type mono-triode (300B ou autres) sur un haut-parleur large-bande plus ou moins bien exploité : les timbres sont caricaturaux, l’équilibre tonal aléatoire, mais bon sang, ça parle directement au cœur, la musique est injectée dans les veines comme par intraveineuse…

A la manière de Nina Simone.

Bon, certes jusqu’à ce qu’on se lasse de couleurs répétitives, de manies déséquilibrantes, d’accents outrés.

Cependant quand on a goûté à tels délices, grains, sensualité, démangeaisons bienveillantes, il est difficile de revenir en arrière pour replonger dans les mornes eaux huileuses de la haute-fidélité d’étagère. Car aller de l’avant suppose d’en virer les deux-tiers, au bas mot…

Sans sombrer non plus dans la tentation de l’expressionnisme à la Rammstein (sauf pour écouter du Rammstein !) que bastonnent divers systèmes (souvent encombrants) à pavillons avant par exemple : traits grossis, attaques monumentales mais sustain et release mal suivis, gigantisme du violon (dans Rammstein ? Mais non, enfin…) tout en grain et matière mais pas en délinéation… Pourtant, là aussi, il se passe des choses rares, des frissons irremplaçables. Et parfois aussi, ces systèmes sont vraiment réussis. Ô Joie !

L’expressivité ? Un extrait du « livre de la Jungle » (Kipling) vous aidera à comprendre l’indéfinissable :

« le tigre n’a pas d’odeur, le tigre ne fait pas de bruit, mais on sait que le tigre est là. Quelque chose s’installe dans l’ombre, et c’est le tigre qui vous attend »

C’est ce mystère, ce danger, cette présence absente que délivrera un appareil expressif.

Or que ce soit clair : de même que le fait que nous passons la plus grande partie de notre vie mentale dans des châteaux de l’esprit construits avec des mots signifie que nous manquons de l’objectivité nécessaire pour nous apercevoir de ces terribles distorsions de la réalité que nous apporte le langage, l’absence d’expressivité en reproduction musicale est une trahison de l’artiste et peut conduire à ne rien comprendre de son art ou passer à côté en l’effleurant à peine.


Oui, bon…

                 

Une photo d’une statue de Rodin donne une idée de son art, pas le choc qu’elle représente. Idem pour les Demoiselles d’Avignon de Picasso : allez la voir, si vous en avez la possibilité, au MoMA, vous comprendrez.

A nous de vous indiquer les appareils qui suivent le «nord magnétique» et évaluer les contreparties éventuelles d’un sens de l’achèvement indispensable, les placements des curseurs de compromis sur la voie royale : le naturel

Comme disait un vieil ami : « contempler la vérité est autre chose que la connaître par ouï-dire »

J’ai été un peu long sur le chapitre, mais croyez-moi l’envie de vous protéger des sirènes****** de la hifi n’est pas facile…

Ceci dit, j’aurais pu reprendre l’exemple de Frank Sinatra et Dean Martin, une fois la question du timbre mise de côté. J’aurais pu…

J’ai été un peu long, non ?